jeudi 14 juin 2007

LABOUR ... DORMANCE ...

Depuis que j’ai commencé ce blog, je m’aperçois qu’en fait, je tournicote de plus en plus autour de mon cher ordinateur, l’air de rien, mais tout de même, l’oreille à l’écoute de la petite sonnerie de la messagerie …(comme la sonnette de la porte du magasin ? – encore des histoires de marchande ?)
J’ai même été jusqu’à augmenter la fréquence de relevé des messages pour être sur d’être là quand « il » arriverait …Est ce avouable ? Oui oui oui ; et j’aime cette attente de la découverte des petits billets, commentaires d’autant plus mystérieux que leurs auteurs s’appellent « anonyme » « nomade » ou encore « autre » ! (bon pour « la fille » j’ai trouvé ouf…) Quand à Fleury, « poisson pilote » aurait suffit …
Bon bien sur j’ai ma petite idée mais j’aime l’élégance de ce mystère, la délicatesse des billets déposés, comme autant de petits bouquets livrés encore tout pleins de rosée à domicile.

Voilà bien pourquoi j’ai très vite été gourmande d’internet, et pourquoi ce blog me fait beaucoup de bien ; j’aime l’idée d’un lieu d’échange, de curiosité, d’éveil, de partage, de rebond, de ricochet, de circulation, de mouvement.

Quand le diagnostic du cancer a été prononcé, ç’est ça justement qui s’est arrêté ; le mouvement ;
Comme si brutalement, j’étais arrivée au bord du monde, au bord, au bout, à la bordure ;
Non, la terre n’était plus ronde, et bleue comme une orange, l’horizon de tous les possibles infini ;
La limite du chemin, c’était le précipice, le gouffre noir et sans fond de toutes les terreurs ; sans chemin de retour ;
Une alternative pourtant s’est proposée : se laisser tomber : radical, ou ne plus bouger, s’immobiliser, se « remettre entre les mains » des autres, les médecins, les proches, se " laisser guérir » .
Oserais- je dire que cette idée n’était pas forcément la plus facile à accepter… comme si abandonner son corps à la violence des traitements proposés ne pouvait se faire qu’en se retirant de soi, tout au fond de soi, s’y recroqueviller, s’interdire tout mouvement, juste à peine une petite flamme vacillante, dans un sarcophage blindé.
C’est dire comme cette sensation du mouvement retrouvé m’est précieuse aujourd’hui ; mouvement du corps …bon là, c’est encore bien engourdi tout ça! …mais aussi mouvement des idées, des envies, des expériences, des échanges …Nous y revoilà !
Oulala, ça c’est de la parenthèse !

Et donc …au plus profond du « resserrement » de la semaine dernière, je reçois ce petit mot de « nomade » : « …les sabots de labour, collés au sol lourd, corps engourdi, ratatiné … : le labour rend la terre belle aussi ; le labour retourne la terre juste ce qu’il faut pour enfouir, mas pas trop profondément, la récolte précédente … »
Et ce qui n’était pour moi qu’un acte inconscient de survie dont je ne savais que faire devenait grâce à ce commentaire une expérience qui pouvait faire sens.

Et me voilà à passer les jours suivants à gratter la terre, la terre grasse du petit carré de plantes aromatiques, la terre sèche et caillouteuse au pied des vieux rosiers,


la terre moussue sous le cerisier, celle pleine de caillou dans l’allée du sous bois, celle piétinée devant la maison, à observer les germinations, moi qui n’ai jamais été « jardinière », examiner les racines, les comparer, incroyable d’imaginer que ces centaines de bulbes de cyclamens ronds et tournicotés tout secs, vont faire vibrer de « rose » tout le fond du jardin, quand le moment sera venu, tiens les rhizomes des iris à peine enfoui dans une terre toute en caillou, comment font ils pour donner des fleurs chaque année dans ma plus parfaite indifférence,

par contre les racines des orties oranges et grasses semblent si profondes, et le lierre, cramponné au muret, d’où vient la force de ces petites ventouses ? Et toutes ces plantes vivaces qui semblent parfaitement avoir trouvé leur place dans ce jardin, en toute « autarcie » puisque je les ai toujours négligées !
A ma grande honte, j’ai toujours manqué d’attention aux plantes, à la différence de la plupart de mes ami(e)s . Trop impatiente, trop négligente …
Et là, je voudrais qu’il m’apprenne ce jardin, tout ce dont j’ai besoin aujourd’hui …en tout cas je crois que maintenant je suis plus prête à l’écouter : la patience, l’imagination, la confiance, le tâton, l’écoute, les leçons à tirer, l’attente, l’alternance, la surprise, la prévention, le respect …d’ailleurs, c’est la 1° année (depuis 19 ans de jardin) que je plante …3 pieds de tomate !!!
(moi fille et sœur de jardinières hors pair !) …j’espère être à la hauteur !!!



Je repense à mes folles envies de cuisine de ces derniers mois ;
A la « dormance » des graines dans le sol, au travail souterrain …et à la « levée » de mes macarons » dans le four : le petit tas mou …qui, sous la température précise, les 3 plaques dont une froide, le « croutage » préalable, brusquement, comme un miracle, se mettent à lever , le plaisir parfait de rester assise devant la cuisinière à guetter ce moment miraculeux : la collerette impeccable, le dôme lisse et brillant …

Je pense au labour, « labor : travail dont dépend la vie »
Je pense à mon corps « labouré » par la maladie , la chimio, les rayons.
Je pense à « l’enfantement » de Camille : 3 mois d’immobilité totale, et accouchement parfait le jour même où le cerisier du Japon explosait ses fleurs roses sous les fenêtres.

Hier, à même le sol, sous ma couverture (Chrysalide a dit encore Nomade ??) j’étais tombée, lourde, anéantie.
Aujourd’hui, je retourne dormir dehors.
Mais cette fois, j’ai sorti un petit lit, qui me met à une petite distance du sol, une belle couverture de laine en patchwork coloré tricotée, un bougeoir.
Aujourd’hui je me sens réconciliée, en équilibre entre la terre et le ciel.


5 commentaires:

Anonyme a dit…

L'enfantement de Camille

Tu sais que en anglais ça se dit "being in labor"? :)

(c'est sûrement ce que t'as voulu dire, auquel cas je ne fais que souligner la parfaititude de ton champ lexical)

une autre a dit…

Eloge de l’abaissement
Pour le jardinage c’est plutôt meilleur penché !
Recourbé, binant, taillant, arrosant,
à genoux fléchis, bras tendus souplement étirés,
Planter, Cueillir, trier, brouettées,
lutins verts dans les cerisiers,
doigts rougis de framboises,
salades amères, fraises éclaboussées
Pour les bonnes recettes de cette chère biji…

Anonyme a dit…

histoire de blog,
les mots écrits se lisent se relisent et résonnent dans nous.
la résonance... intérieure mais pas solitaire ,qui se partage.Voilà le début d'une histoire avec des rhizomes,des racines .une mémoire intime mais aussi collective .Une histoire de je ,de tu ,de nous....
Nomade ,

Anonyme a dit…

Le corps à terre rudoyé par cette enlacement archaïque qui au sortir de la nuit, à l'aube naissante,doucement reprend sa respiration.
Étonne il est de sortir de son "recroquevillement".
Étonne il est de sortir du "resserrement".
-Percevoir le mouvement.
-Sortir de la nuit.
-Sentir la chaleur.
-Voir la lumière.
La réconciliation ,dis-tu,prête à retourner vers d'autres nuits mais avec une autre chrysalide, de laine en patchwork :
"coloré" "tricoté"
Car tu le sais maintenant à la fin de la nuit il y a les lueurs de l'aube .
Nomade ,

Anonyme a dit…

mouvements du/des corps, viens bouger doucemnt avec nous le samedi matin sous la voix (et très sans doute l'âme) délicate de Dorothée, le prochain c'est le 6 octobre, nous on t'y atemps, prend le, mais quand maime, dis moi que je t'isncrives...
je crois que ça te fera du bien,ça m'en fait, et ... voilà !