mercredi 6 juin 2007

Dilatation

La fraîcheur de l'air ce matin derrière les volets claqués ? Ou le vert exubérant du jardin ? Le frémissement prometteur d'une nouvelle journée ?
En tout cas, ce texte, comme le voleur de Bagdad , m'a soufflé au saut du lit et m'a transporté toute la journée.



La question de l'espace dans la joie et le destin du mot " dilatation"
Jean Louis Chrétien
"La Joie Spacieuse"

Dès que la joie se lève, tout s'élargit. Notre respiration se fait plus ample, notre corps, l'instant d'avant replié sur lui-même, n'occupant que sa place ou son coin, tout à coup se redresse et vibre de mobilité, nous voudrions sauter, bondir, courir, danser, car nous sommes plus vifs dans un plus vaste espace, et le défilé resserré de notre gorge devient le gué du cri, du chant ou du rire déployé. Rire ou pleurer, rire en pleurant, pleurer en riant, qu'importe ! , c'est la réponse au même excès de ce qui vient. Notre visage s'ouvre et notre regard s'éclaire. Qu'est-ce qui vient ? L'à venir.
Mais il n'est pas seulement projeté, calculé, anticipé, imaginé,il surgit ici et maintenant, et c'est parce que cet ici et ce maintenant ne sauraient être ponctuels que tout s'élargit.
Il y va de l'inverse de ce que décrit Schiller dans l'ultime vers de son poème Le Pélerin : Und das Dort ist niemals hier ! ("Et le là jamais n'est ici ! ") : dans la joie, là vient ici, là est ici, et pourtant n'y vient pas jusqu'à s'y épuiser, jusqu'à y être tout entier, et c'est pourquoi il faut croître et paertir. Non pas partir pour fuir l'ici, masi pour tenir la promesse que le là, ici, a fait s'ouvrir. la joie ne forme pas un état, mais un acte et un mouvement, une inchoation* vive. Cet acte est l'acte commun de l'homme et du monde, il ne peut être rabattu et mis en boîte dans la psychologie ni dans une pensée du "sujet". La joie en effet donne de l'espace, du champ et du jeu, être joyeux, c'est être au large dans le grand large du monde soudain révélé comme tel, et l'épreuve de la joie est toujours une épreuve de l'espace en crue? Espace du soi, espace du monde ? Espace intérieur, espace extérieur ? Le propre de la joie est de rendre cette distinction caduque, et d'être indivisément une épreuve de soi et une épreuve du monde.
Nul ne l'a dit mieux que Baudelaire, dans ces vers du "Balcon" :


Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !
Que l'espace est profond ! que le coeur est puissant !


* L'inchoation (du latin chrétien inchoatio) sert à nommer un commencement nouveau dans le temps, qui ne finira pas avec le temps, le "déjà là et pas encore" vécu dans la vie de la grâce, qui inaugure la vie éternelle.


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