dimanche 2 décembre 2007

Faudrait pas croire !
Il n’y a pas QUE le couvercle de mon ordinateur qui me nargue dès que je m’en approche, comme une abeille d’un pistil gorgé de pollen :
"Ouvre moi ! viens t’y vautrer pour y faire ton miel !"

Là, c’est un dessin sur une couverture de livre, perdu dans la foultitude de bandes dessinées dont s’enorgueillissent les bacs ma médiathèque préférée à La Ferté Alais, qui a laissé mes doigts agités en arrêt …

« Regarde moi, prends moi, n’aies pas peur … »



Elle me parlait …
Enfin, à "quoi" en moi parlait-elle exactement ?
À ma gourmandise avec ses couleurs chocolats ?
À mon conformisme conforté ( !) par mon récent passage au musée de la BD de Bruxelles avec sa rassurante « ligne claire » ?
A l’Anna Karénine refoulée avec son train digne d’un Orient Express, bagage étiqueté et passagère mystérieuse au manteau de zibeline?…

Sans doute; oui mais lui, cet homme, costume cravate col en V, tempes grises et front ridé, et surtout ce crâne tranché net, semant à tous vents ces photos sépia qu’on imagine souvenirs précieux de toute une vie, et qui au lieu de se cramponner à la fenêtre, semblait s’abandonner à la course du train …Et même quoi ? Derrière ses lèvres serrées sur ce qu’on imagine une bouche édentée semblait esquisser …un sourire ??
A qui pouvait-il donc parler pour que je m’en empare avec autant d’urgence évidente ??

J'ai ouvert le livre

Je n'arrive pas à le rendre ...

Ernest (c'était lui) Emile, madame Rose (c'était elle) Georgette et Marcel, René, Alphonse, Monsieur Léon ne me quittent plus ... depuis qu'ils m'ont pris la main pour m'introduire dans leur "Résidence pour Personnes Âgées", au 1° étage , celui des "valides", où certains vivent depuis plus de 15 ans, mais tous dans la terreur de la montée au 2° étage, celui des "assistés, ceux qui ont perdu la tête, folie sénile, schizophrénie ou alzheimer"...

Même pas sympathique l'Ernest, ancien directeur de banque inflexible, à la charge de ses enfants

Seulement quand il se retrouve là ...
Et que la page suivante est celle-ci:
...on sait bien qu'on ne le lâchera plus ...

Parce que tout pourrait se réduire à cette terrible double page :


Et bien non ...


Parce que tout comme il le fait avec son personnage, l'auteur nous prend par la main pour nous emmener là-bas loin, tout au fond de la forêt sombre très sombre, si loin/si proche, celle de toutes les terreurs éprouvées à l'idée d'une vie qui continuerait mais dont le mouvement serait arrêté.

- Temps figé de l'ancien animateur de radio qui a tant parlé qu'il "a finit par en user les mots" ... et qui "passe le temps" à répéter maintenant ceux des autres, inlassablement;
- de la salle de télévision bloquée sur les chaines animalières;
- du salon : "- fondamentalement, le salon est comme la salle de télévision, mais sans poste de télévision" dit Émile qui lui (nous!) fait faire la visite;
- de la salle de "mobilité" ou le but est de ne pas s'endormir entre deux lancers de ballon;
- de la salle de jeu, où il s'agit surtout, au Loto, de se souvenir des numéros annoncés !
- Infirmière: le vingt ! - Alphonse, ancien commentateur : vingt! - Eugène à la casquette (sourd) : Il a dit quoi ? - René, survêtement, médaille de bronze au championnat national d'athlétisme en 53 : Le vingt, Eugène ! - Marcel, mari de Georgette, souffrant d'Alzheimer, à Eugène : Quel numéro est sorti ? - Eugène : Comment ? - René : Vingt! C'est le vingt qui est sorti. - Alphonse : Vingt ! - Marcel : Ah oui, le vingt... Aïe, ça m'est sorti de la tête ... C'était quoi déjà ? ( à Eugène ) - Eugène : Comment ?
...

Au début, on fait comme Ernest, on hurle, on refuse : Non pas moi ! ... Accrocher les décorations de Noël avec les autres ? Quand j'étais dans la banque , on ne célébrait pas ces bêtises ! ... Non je ne me suis pas inscrit pour l'excursion du pont de la Toussaint au Casino ... Je refuse de séjourner dans cette pièce avec tous ces petits vieux qui dorment ... Ces pilules ? je n'en ai aucun besoin, j'ai toute ma tête moi contrairement à Monsieur Marcel !

... Et c'est quand il s'aperçoit que les souvenirs de sa propre vie commencent également, comme des pages d'écriture sous la pluie, à s'effacer ... qu'il doit affronter l'annonce terrifiante de la maladie et de son inéluctable issue ( géniale page ou l'on ne voit sous le texte que le dessin des pieds d'Ernest, tel qu'il les voit , assis en face du médecin ) c'est à ce moment là qu'il commence à accepter de laisser s'échapper le passé et enfin à être attentif aux autres et de faire son dernier voyage.

Parce que, forcément, elle est là la vie, et, dans un cadre aussi terrorisant par sa fixité, le moindre petit surgissement de vie devient la vie elle même ...Et si les corps se rident ( " Arrugas" est le titre en espagnol), si la mémoire aussi s'engloutit, les émotions de chacun restent intactes, intenses, violentes.

Et on fond de tendresse et d'humilité pour l'humanité des personnages ... et de reconnaissance pour l'auteur qui sait nous conduire sur ce chemin là , où on ne voulait surtout pas aller , et d'arriver même à nous y surprendre par la poésie qui s'y cache, si on avance malgré tout, sans chercher à se raccrocher à un passé qui, de toutes façons, nous échappe.
Alors on s'attarde un peu plus sur:
- Raymond qui cache son cadeau de Noel (un chiot!) dans une boîte en carton et le promène le week end quand il rentre chez son fils.
- Adrienne qui danse le paso-doble le samedi ... avec son déambulateur ! et qui continue à écrire des poèmes pour ses enfants qui ne viennent jamais la voir, sous les moqueries désabusées des autres ... et qui garde le ketchup et les petits carrés de beurre pour son petit-fils. (- Surtout ne te les fait pas voler ! )
- La mystérieuse Madame Rose

Beauté de la couleur ...


- Emile compagnon de chambre d'Ernest, au cynisme affiché, toujours prêt à se moquer des autres- et de lui même, mais qui veille sur Ernest déclinant comme un frère, en l'aidant à remettre ses vêtements à l'endroit, en lui confectionnant des petites étiquettes avec des dessins pour qu'il puisse nommer ses objets familiers, et tromper le médecin ! ... et en l'accompagnant un jour, juste pour s'y préparer, à l'"Étage Supérieur.

Et quand ...

... c'est lui qui propose le coup de folie ! L'échappée belle surréaliste ! Avec Ernest au volant : "je vais vous mettre une étiquette pour ne pas oublier vos noms" !!!


On n'a presque envie d'y croire à leur folie! Allez ! que l'auteur - tous les pouvoirs après tout ! - s'autorise cette évasion et nous fasse quitter la réalité, ça suffit, on sait bien comme tout ça va finir ...

Et bien non, il ira jusqu'au bout de son propos ...

Une fin terrible ? ... Sans doute, mais accompagnée
par toute la douceur et la poésie de "Madame Rose" ...

" Vous allez aussi à Istanbul ?Les carpates sont magnifiques au printemps" ...


PACO ROCA auteur espagnol
RIDES : "A mes parents"
Edition Delcourt/ Mirages
2007

...

PS1 : Je téléphone à la maison de retraite Clairefontaine à Etampes proposer un dimanche après midi enchantant , avec nos mambos, nos chachachas, nos boléros nos ...
- heu oui, pourquoi pas ... ah non en décembre il y a déjà l'arbre de Noël ... janvier? là c'est la "galette" ... bon février ...mais attention avant 18h, c'est l'heure du repas ...
...

PS2: J'ouvre Télérama et je découvre un article sur le dessinateur "Quentin Blake" ( vous savez ? "Matilda ...Charlie et la chocolaterie ...) de passage à Paris au salon du livre jeunesse; j'y lis:
"Quentin Blake a couvert les salles communes du rez-de-chaussée du service de gérontologie-psychiatrie du St Charles Hospital de Londres de fresques murales.
On y voit des vieillards perchés sur des branches, grignotant du chocolat, tricotant des écharpes ou sirotant du champagne ...


Quentin Blake
"Vive nos vieux jours"
Gallimard jeunesse (?)
2007




Il dit " les patients vivent dans un monde parallèle où tout est possible, j'ai voulu que ces dessins soient l'incarnation énergisante de leurs rêves ! "


AH !



Et pis allez un petit
PS3 ... Hier soir, j'ai dîné avec la dessinatrice ...de Tom Tom et Nana !!!
66 ans, une enfant !

9 commentaires:

fleury a dit…

quentin blake c'est tout pareil pour moi j'adore ses illustrations de roald dahl !!

Virgiki a dit…

ah, ça va me faire plein de lecture pour Valencia, passe que là j'ai pas le temps de tout lire, mais comme c'est étrange ...moi, j'ai déjeuné avec une femme ex médecin du monde reconvertie dans la gériatrie, et sur Arte, vendredi soir, j'ai vu u téléfilm "l'âge de l'amour", sur l'amour après 70 ans, et puis d'autres petis signaux et même une consversation pas plus tard qu'hier soir avec Bella Sabina et JF sur tout ça, l'âge, le regard des gens qui sont pas du même âge ...
bon, j'éteins l'ordi et je le range !!!

Ellinoä a dit…

Tu crois que tu peux la garder jusqu'au 17 décembre?...

brigitte jacquot a dit…

heu (chut) ...y'a des chances !

Virgiki a dit…

Brigitte, tu lisl'espagnol ??? tu veux que je cherche d'autres BD de lui à Valencia ???
il fait 22 degrés, les gens boivent des coups dehors sans pull en terrasse à l'ombre !
ce matin, j'ai fini mon thé sur le balcon, dehors, je voyais la mer ..
viva Espana !

fleury a dit…

oh la chance la virginie!!je rêve!!
j'ai de mon coté cammandé la BD si tu dois la rendre , je l'aurai!!!

brigitte jacquot a dit…

Oh ! Barcelone ! On évoquait justement hier avec Fleury (en se réchauffant dans un café parisien )cette ville comme un beau lieu d'"hiver"... Je ne lis pas l'espagnol ...mais je peux faire semblant !

Virgiki a dit…

bon, tu lis pas l'espagnol, mais le français, c'est à voir .. pas Barcelone, VALENCE !!!!
des orangers partout, encore du soleil, des architectures monumentales, ah, hombre !!!!
impossible de s'imaginer ici qu'à Paris, c'est l'hiver gris... je comprends que ces juenes Erasmus aient du mal à ne pas se croire un peu en vacances (surtout qu'il y a au moins 5 terrasses au soleil sur le campus pour boire un coup, des courts de tennis où les gens jouent début décembre le soir etc etc)
bon, j'en profite, retour demain...

Anonyme a dit…

intéressant ce télescopage avec Quentin Blake et Paco Roca...