Et pendant une semaine, le Temps s’arrête.
Littéralement.
Alors que ma petite embarcation continue depuis 4 ans déjà à naviguer bon an mal an sur le courant, elle est brusquement happée, arrachée au flot, soulevée dans les airs, déposée à quai, enfermée en caisson d’isolation.
Et chaque fois, la soudaineté du choc me coupe le souffle.
Je devrais, connaissant maintenant la régularité de l’événement, mieux identifier les signes avant coureurs qui ne manquent pourtant pas de se manifester les jours qui précèdent : les vents brusquement moins propices, les voiles du bateau qui perdent leur gonflant, ma boussole qui s’affole, les cartes bizarrement illisibles, les eaux plus sombres, le ciel plus terne, les rives incertaines. Jusqu’à mes rêves de capitaine confiant qui, tels des oiseaux jusqu’alors paisibles, s’affolent de panique, soudain conscients d’être en cage, et se cognent et se blessent aux parois jusqu’à ensanglanter leurs ailes.
Non, la brutalité de l’arrachement est toujours aussi rude.
Tous les six mois, c’est temps figé ; mouvement bloqué.
Tous les six mois, c’est l’Inventaire.
"Respirez. Ne respirez plus".
Temps blanc, froid, dur. Attente
Espace compressé : sous sol, cabine, caisson, néon.
Corps épinglé : enlevez … allongez …levez … retournez … avalez …retenez … fermez …
"Respirez. Ne respirez plus".
Mots désincarnés : formulaire, examen, dossier, laboratoire, scanner, analyses, résultats.
Déshabillez-vous. Rhabillez-vous.
Mais quand brusquement ma feuille de route est tamponnée, l’embarcation relâchée et que le Temps se remet à couler, comment rejoindre la rive? Comment trouver le vent propice pour reprendre les flots ? Comment hisser à nouveau les couleurs, retrouver le mouvement, la fluidité, la légèreté, l’équilibre, la respiration ?
Mais grâce à mes petits lutins joufflus !!! , les fidèles parmi les fidèles, vibrants et bondissants à mes moindres tremblements intimes, et toujours prêts à souffler toutes joues gonflées, pour me faire reprendre une nouvelle fois le large !
Cette fois, c’est Fleury et Virginie qui ont fait les passeurs, les bons génies.
Mercredi à Paris avec Fleury, au 2° étage de Beaubourg, j'ai quitté mes semelles de plomb et j'ai voleté dans les airs comme la fée Clochette de Peter Pan.
Mercredi, c’était l’Exposition Calder !
Frémissement - balancement ; oscillation - équilibre; jeu - danse; fil de fer - masse d’air, suspension, pulsation, espace mobile, échange, enrouler - dérouler, souplesse poésie mouvement vibration.
Mercredi à Beaubourg, il y avait de gracieux poissons transparents, flottants dans des cages d’air, se balançant au dessus de nos têtes au moindre souffle déplacé par notre passage et ne semblant à aucun moment souffrir du changement d'élément.
L’eau et l’air réinventant une nouvelle harmonie.
Le petit vent tiède que m'a soufflé Virginie, c'était d'assister, au petit théâtre de l'Atelier du Plateau, à la rencontre de Cécile Mont Reynaud, "acrobate aérienne", avec le bandonéon de César Stroscio.
"Ce qui nous lie"
Les regarder, les sentir, les écouter, conjuguer l'air et l'espace, tisser des liens de son, de mouvement, d'élan, s'approcher- s'éloigner, cheveux tressés - cheveux lâchés, soufflet étiré - soufflet poussé, cordes, bobines, bouts de ficelles, attachement-détachement, pieds nus- chaussures de cuir noir tango, César en bas, grand oiseau noir qui déplie ses ailes, Cécile en haut qui serpente de cordes en cordes, comme sur une harpe mobile, doigts voltigeant sur les touches - doigts serrés sur la corde , se balancer, s'apprivoiser, étirer les gestes, étirer le temps ...
La semaine est finie.
Ce matin, il volait des pétales de cerisier dans le jardin des Vieilles Vignes.
J’ai lâché mon gros ballon rouge qui a filé aussitôt rejoindre le ciel dégagé.
C’est parti pour un nouveau voyage
Exposition Calder à Beaubourg
Cécile Mont Reynaud Compagnie Lunatic
Et une merveilleuse trouvaille sur Ubu Web, le film de 20mn sur Calder et son Cirque ...